Parler de suicide dans un blogue de voyages ? Oui, absolument. Parce que, pour moi, la vie est le plus grand, le plus beau, le plus incroyable voyage qui puisse exister.
Il m’arrive souvent lorsque je suis loin des miens, au bout du monde, de me demander ce que je fais là. Parfois, quand je ne partage rien avec mes compagnons de voyage, je voudrais avoir la possibilité de m’enfuir, d’effacer le temps. Pourquoi ai-je toujours en moi cet incessant besoin de partir ?
Puis, on m’invite à monter dans un train qui parcourt les Rocheuses, on m’offre de chevaucher un chameau dans le Sud de la Tunisie, on me propose de manger par terre dans une tente Berbère, de nager avec les dauphins ou de me rendre sur la banquise aux îles de la Madeleine pour poser mes yeux dans ceux d’un blanchon et là, je me dis que c’est pour cela que je voyage, pour ces rares et précieux instants où j’ai la possibilité de vivre des moments hors de l’ordinaire.
D’autres fois, mes compagnons de voyages sont charmants et la traversée des découvertes se fait dans les rires, la joie et, de ces rencontres naissent des amitiés qui mènent vers d’autres voyages,à deux ou à trois cette fois-ci, à partager de nouvelles expériences, à affronter ensemble les innombrables petits ennuis, partie inhérente du voyage qui, curieusement au retour, deviennent les souvenirs les plus rigolos que l’on raconte autour d’une table et qui font rire l’assemblée.
C’est ainsi que je vois la vie. Comme un long voyage, parfois difficile, parfois semé d’embûches, parfois ennuyeux, mais qui réserve toujours quelques belles surprises, souvent, au moment où l’on s’y attend le moins.
Et, comme je suis d’une curiosité insatiable, chaque fois que l’on me propose un voyage, je réponds oui, alors même que parfois je pense non.
Voilà pourquoi, je n’arriverai jamais à m’expliquer le suicide et ce, peu importe que l’on soit jeune ou âgée, belle ou moche, riche ou pauvre. Pour moi, le suicide est un geste inexplicable et incompréhensible.
Je ne connaissais pas Nelly Arcan, mais sa mort me touche parce qu’elle avait 36 ans, à peu de chose près, l’âge de mes deux filles, de 31 et 33 ans. En lisant tout ce qui s’écrit depuis son décès, c’est à Jacynthe, sa mère que je pense surtout.
À cette femme qui, comme moi, a donné naissance à une fille que, j’en suis certaine, elle adorait. Qui l’a élevée, comme moi, en tentant de faire de son mieux avec ce qu’elle même avait reçu, appris et compris. Il n’existe aucun manuel, aucune recette pour élever les enfants. On fait ce que l’on peux. On apprend à devenir parent par essais et erreurs, par instinct, en imitant ce qu’ont fait nos propres parents ou en le rejetant. Il arrive que l’on aime mal, mais on aime. Toujours.
C’est à cette femme que je pense ce matin. C’est elle que je voudrais prendre dans mes bras, même si je sais que tout ce que je pourrais dire ou faire ne pourrait la consoler. Perdre un enfant est la pire chose qui puisse arriver. Perdre sa fille unique parce qu’elle a choisi de s’enlever la vie doit être horrible. Je n’arrive même pas à imaginer le mal intense qui doit la déchirer.
Pourquoi tant de jeunes choisissent-ils de partir ainsi ? Pourquoi ne font-ils pas confiance en la vie ? Pourtant, chaque jour, la nature nous donne des exemples que rien n’est éternel. Un jour, à une amie en détresse, j’ai conseillé :
Assieds-toi dans ta fenêtre et regarde le grand arbre devant chez toi. Admire sa force et sa beauté en été. Regarde-le se flétrir et perdre toutes ses feuilles à l’automne et observe sa tristesse lorsqu’il n’est plus qu’un squelette en hiver. Pourtant, certains jours d’hiver, après une tempête, tu le verras resplendir sous les cristaux de glace qui l’habillent pour quelques heures. Et puis, surtout surveille les premiers bourgeons du printemps et l’éclosion des feuilles pour l’été. Pour moi, c’est ça, la vie. Un éternel recommencement qui nous entraine vers d’immenses chagrins pour ensuite nous ramener vers de petits bonheurs et des joies incommensurables. C’est le jeu de l’éternel recommencement, le jeu de la Vie.
Choisir de partir, c’est choisir de ne plus croire. C’est tourner le dos au plus beau voyage qui soit, c’est faire injure à la vie.
Je ne juge pas Nelly Arcan (ou Isabelle Fortier de son vrai nom). Il y a de ces maux de l’âme qui sont inexplicables. Je ne la juge pas d’avoir choisi ce long voyage vers l’éternité. Parce qu’il s’agit bien d’un voyage. Un voyage vers l’inconnu, vers un endroit dont on ne revient jamais. Un voyage dont on ne peut partager ni les bons, ni les mauvais moments avec ses amis, en rigolant devant un bon verre de vin. Un voyage duquel ne parviennent aucune cartes postales, aucun appel outre-mer, aucun courriel. Rien. Un voyage sans fin.
Petite Nelly, je te souhaite qu’il soit bon ce voyage que tu viens d’entreprendre. J’espère que tu y feras de belles découvertes et que tu y rencontreras d’agréables compagnons de route.
Quant à tous ceux que tu as laissés derrière toi, sais-tu que tu viens de les enrôler dans un horrible voyage pour lequel aucun d’eux n’avait pourtant acheté de billets ?
À eux tous, je souhaite un courage à la mesure de la peine qui les habite en ce moment.